Avant la mort


Pratiques de la divination pour savoir quand on mourra

Dans la région de Saint-Jean-Trolimon (pays de Cap-Caval), il était naguère d'usage, au commencement de chaque année, de couper et de beurrer autant de tartines de pain qu'il y avait de personnes dans la maison. Le chef de famille prenait ces tartines et les lançait en l'air successivement en disant à mesure :
- Celle-ci est pour un tel... Celle-ci pour tel autre... Et, ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il eût nommé tout le monde, sans s'oublier lui-même. Chacun, alors, se baissait pour ramasser sa tartine. Malheur à qui trouvait la sienne renversée sur le côté beurré: il était sûr de mourir dans l'année.

(Communiqué par Victor Guérin. - Quimper)


Le trésor du mort

Une fermière de Plounéour-Lanvern, Marie-Jeanne Thos, chaque fois qu'elle allait dans son coutil, voyait, auprès de la barrière donnant sur la route, un homme des environs, mort depuis près de cinq ans. Il lui faisait des signes avec la main, comme pour l'inviter à le suivre quelque part. Un beau jour, impatientée de son manège, elle s'enhardit à marcher jusqu'à lui et à lui demander:
- Qu'et-ce que c'est? Que voulez-vous de moi ?
Il lui fit signe de passer la barrière et de venir.
- Ma foi, se dit-elle, j'en aurai le coeur net.

Et la voilà de cheminer sur les pas du mort. Il la mena ainsi jusqu'au sommet d'une lande déserte, où il y avait une grande roche. L'homme s'agenouillant à terre, se mit à gratter le sol avec ses doigts. Quand il eut fini, il se tourna vers la femme et lui montra le trou qu'il venait de creuser. Elle se pencha et vit un monceau de pièces d'or qui brillaient d'un éclat neuf. Jamais elle n'avait contemplé pareille somme. Tandis qu'elle regardait cet or avec une admiration mêlée d'envie, le mort disparut.

- S'il m'a révélé sa cachette, c'est sans doute pour que je profites ce qu'elle contient, pensa Marie-Jeanne Thos. Et, ramassant à poignées les pièces étalées devant elle, elle en remplit son tablier. Rentrée chez elle, elle les empila dans son armoire. Et, le soir, elle dit à son mari :
- Tu désirais un nouveau cheval : tu peux en acheter, non pas un, mais quatre, mais dix, et davantage, car nous sommes riches.
- Comment cela ? s'informa-t-il, tout joyeux.
Elle lui raconta son aventure. Mais le front du fermier aussitôt se rembrunit.
- Si tu tiens à ta vie, va vite reporter cet argent où tu l'as pris.
- Pourquoi ?
- Parce que si tu ne t'en débarrasses pas, tu es vouées à mourir dans l'année.

Dès le lendemain matin, elle courut à la lande haute remettre les pièces d'or à leur place. Mais, peu de jours après, ayant eu besoin de prendre du linge dans son armoire, elle entendit un bruit d'argent : elle regarda et vit, avec stupeur, que c'était le trésor du mort qui était revenu.

- C'est bien ce que je craignais, lui dit son mari. Va trouver le recteur : peut-être te donnera-t-il un bon conseil. Mais le recteur l'arrêta dès les premiers mots de son histoire.
- Je ne puis rien pour vous, déclara-t-il. Vous avez délivré ce mort, et maintenant il faut qu'à bref délai vous preniez sa place. Préparez-vous donc à mourir chrétiennement et commandez qu'on mette l'argent du trésor avec vous, dans votre cercueil. Ainsi seulement vous serez sauvée. Elle ne tarda pas à trépasser, en effet, sans avoir été malade. Et l'on enterra avec elle le trésor du mort pour qu'il ne causât plus la perte de personne.

(Conté par Perrine Laz. - Quimper)


La femme aux deux chiens

Ceci se passait au temps où les toiles de basse Bretagne étaient renommées entre toutes. Il n'y avait pas alors, à Penvénan ni aux alentours, de fileuse, qui filât aussi fin que Fant Ar Merrer, de Crec'h-Avel. Tous les mercredis, elle allait à Tréguier vendre son fil. Un mardi soir, elle se dit :

- Il faudra que demain je sois sur pied de bonne heure.
Elle se coucha avec cette préoccupation.
Au milieu de la nuit, elle se réveilla et fut étonnée de voir qu'il faisait déjà presque clair. Elle se leva en grande hâte, s'habilla, jeta sur ses épaules son paquet d'écheveaux et se mit en route.

Arrivée au pied de la montée qui mène vers Groaz-Ar-Brabant, elle fit rencontre d'un jeune homme. Ils se bonjourèrent mutuellement et cheminèrent côte à côte jusqu'à la croix.

Là, le jeune homme prit Fant Ar Merrer par le bras et lui dit :
- Arrêtons ici.
Il la poussa dans la douve, contre le talus, et se plaça devant elle comme pour la protéger.
A peine se furent-ils ainsi rangés de la route, que Fant entendit venir un bruit épouvantable. Jamais elle n'avait ouï fracas pareil. Il n'y aurait eu, à la file, cent lourdes charrettes lancées au galop, qu'elles n'auraient pas fait plus de train.

Le bruit approchait, approchait.
Fant tremblait de tous ses membres. Néanmoins elle cherchait à voir ce que ceci pouvait être. Une femme passa dans la route, courant à perdre haleine; elle allait si vite qu'on entendait palpiter les ailes de sa coiffe, comme si c'eussent été deux ailes d'oiseau. Ses pieds nus touchaient à peine le sol; il en pleuvait des gouttes de sang. Ses cheveux dénoués flottaient derrière elle.

Elle agitait les bras, en des gestes désespérés, et hurlait lugubrement.
C'était une plainte si angoissante, que Fant Ar Merrer en avait froid jusque sous les ongles. Cette femme était poursuivie par deux chiens qui semblaient se disputer entre eux à qui la dévorerait. De ces chiens, l'un était noir, l'autre blanc.

C'étaient eux qui faisaient tout le vacarme.
A chacun de leurs bonds, les entrailles de la terre résonnaient.
La femme fuyait dans la direction de la croix.

Fant Ar Merr la vit s'élancer sur les marches du calvaire. A ce moment, le chien noir était parvenu à la saisir par le base de sa jupe. Mais elle, se précipitant, étreignit l'arbre de la croix et s'y tint cramponnée de toutes ses forces.

Le chien noir disparut aussitôt, en lâchant un aboi terrible.
Le chien blanc resta seul auprès de la malheureuse et se mit à lécher ses blessures. le jeune homme dit alors à Fant Ar Merrer :

- Vous pouvez maintenant continuer votre route. Il n'est que minuit.
Ne vous exposez plus à voir ce que vous avez vu. Je ne serai pas toujours là pour vous protéger. Il y a des heures où il ne faut pas être sur les chemins. Quand vous arriverez à Kervénou, entrez dans la maison qui est là. Vous y trouverez un homme en train de mourir. Passez le reste de la nuit à réciter prés de son chevet les prières des agonisants et ne sortez de cette maison qu'à l'aube. Quant à moi, je suis votre bon ange.

(Conté par Marie-Louise Bellec. - Port-Blanc)