GILLES SERVAT

Dimanche 25 21H30

 


"Touche pas à la Blanche Hermine"

"Nantes, Pornic, Saint-Aignan de Grand Lieu, Fay de Bretagne, sont les berceaux de ma famille. Mes parents sont nés à Nantes et mon grand-père fut même le fondateur d'un journal nommé Le Réveil de la Loire-Inférieure. Il faut croire qu'elle était déjà réveillée, le journal fit faillite.

Si ma famille est nantaise, mon nom est occitan, pour préciser, ariégeois. Il me vient d'un arrière grand-père montreur d'ours des Pyrénées, venu s'échouer au bord de la Loire. Son surnom était Carrache, ce qui signifie carré au propre et au figuré. Si l'on veut chercher dans l'atavisme les origines de mes quelques talents artistiques, c'est sans doute du côté du montreur d'ours qu'il faut aller. J'ai eu aussi un trisaïeul violoneux à Saint-Aignan, mon grand-père maternel peignait de très belles aquarelles et mon oncle a failli faire du cinéma...

Mes parents se marièrent à Ste-Reine de Bretagne, où mon grand-père avait une briqueterie. Est-ce un signe? L'instituteur de ma mère était le père de René Guy Cadou, l'un des plus grands poètes de ce temps.

Après de longues tribulations au cours desquelles mes deux frères aînés naquirent à Boulogne Billancourt, mon père trouva du travail à Tarbes. Et c'est là que j'ai commencé à développer ma voix, le 1er février 1945, à la fin de la guerre, ce qui poussa ma mère à se venger sur moi des privations qu'elle avait dû imposer à mes frères. Je pris très vite un poids dont j'ai maintenant toutes les peines à me défaire.

Ma naissance marqua la fin de l'époque tarbaise de ma famille. A cinq mois je découvrais Nantes et son pont transbordeur, sous lequel mon parrain était passé en avion vingt ans plus tôt. A un an, c'est Cholet qui m'accueillait en son sein palpitant. J'y suis resté jusqu'au bac philo, que j'obtins à la grande surprise de mes parents.

Vous qui cherchez dans l'enfance déchirée les prémices de l'art, excusez-moi. La mienne fut belle, heureuse, j'aimais mon papa et ma maman et c'était réciproque. Nous habitions aux lisières de la ville, dans une caserne désaffectée, louée aux civils. Dans mon école, fils de paysans, de gendarmes, d'employés municipaux, d'ouvriers, de cadres, se mélangeaient à la satisfaction générale. Les pauvres enfants de la bourgeoisie choletaise ne venaient pas là. C'était une école laïque ! je les ai un peu côtoyés, plus tard, au lycée.

Nous passions nos vacances au Croisic, où habitaient mes grands-parents; et c'est là, au club des frégates de Port-Lin, que j'ai connu mes premiers émois océaniques.

Après le bac philo, je quittai Cholet pour entrer aux Beaux Arts à Angers. Je me souviens encore avec émotion de mon départ et de tous les mouchoirs qu'on agitait dans la gare. J'ai beaucoup aimé ces études à Angers. Je faisais sculpture, peinture, gravure. J'écoutais Léo Ferré, Brassens, Ferré, Brel, Ferré, Hugues Auffray chante Bob Dylan et Léo Ferré. La chaleur montait pendant ces années merveilleuses qui s'achevèrent en mai-juin 68.

Enfin le fond bousculait la forme ! Cela entraîna pour moi un changement radical. Je m'aperçut que je parvenais mieux à exprimer mes idées par le chant que par le dessin, et aussi, qu'un chanteur interprète toujours ses oeuvres, alors qu'une peinture, quand c'est vendu, c'est perdu.
Et la chance voulut que, passant par hasard dans un café angevin, je rencontrasse un pauvre groisillon tombé de son île. Ses paroles magiques me décidèrent à prendre le bateau pour Groix. C'était à Pâques 1969. Ce fut un retour dans l'oeuf, une gestation nouvelle et une seconde naissance.

Voilà comment j'en suis venu à chanter, en 1970, dans une époque extraordinaire. Nous étions à la fois mus par une vague déferlante et moteurs de cette vague. A vrai dire, à moins d'avoir des oeillères et d'être plus sourd que Ludwig, je ne vois pas comment j'aurais pu faire autre chose que chanter ce que j'ai chanté."

Gilles Servat

 





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