Tri Yann, des pionniers toujours d'actualité

Certaines batailles ne vieillissent pas. Premier des grands groupes musicaux à oser la tradition, encore debout après 27 années de militantisme culturel, Tri Yann a récolté les fruits de sa persévérance. La triade originale des "Trois Jean de Nantes" - ils sont aujourd'hui sept copains - est aujourd'hui connue partout en France et dans de nombreux pays étrangers où leur combat identitaire et musicale trouve une résonance. Jean-Louis Jossic chante, joue, exulte depuis les tous débuts du groupe et ses propos en gardent toute la fraîcheur.


Que représente pour vous cette nouvelle participation au festival de Cornouaille ?
C'est notre première participation depuis cet espèce de "plus" de 1993-94. Auparavant, on avait un public de fidèles de 7 à 77 ans; aujourd'hui, on a des jeunes de 15-25 ans qui décident par eux-mêmes de venir à un concert. A partir de 93-94, notre public a triplé ou quadruplé. Le festival de Cornouaille de cette année nous permet de nouer ce contact avec ces jeunes qui ne nous avaient pas encore vus ici.

Selon vous, quelle place occupez-vous aujourd'hui dans la musique contemporaine ?
C'est très difficile à dire : comme on a le sentiment, sans fausse modestie, d'avoir une place importante, on est obligé de le reconnaître ! Ce qui est important, c'est la façon dont on a traité les choses depuis le début et surtout depuis quelques années. Tri Yann, c'est d'abord une grande importance donnée à la création, à de nouvelles musiques et surtout à de nouveaux textes. Tant pis s'il y a parfois quelques outrances. Osons, osons dire que la Bretagne est capable d'écrire, surtout en cette fin de vingtième siècle.

Le groupe a souvent vu arriver et partir des nouveaux membres. Pourquoi tous ces changements ?
Paradoxalement, il n'y a pas eu tant de changements, seulement onze personnes en 27 ans. Les trois du départ sont toujours là, et ceux qui entrent chez Tri Yann restent huit-dix ans, et ne partent jamais sur une brouille. Tri Yann reste une grande famille, on reste une bande de frangins.

Vous composez depuis 1976 vos propres créations. Quels thèmes vous intéressent aujourd'hui ?
Tri Yann est un groupe qui se veut engagé et donc critique par rapport à son milieu et à son époque. Le type qui a autrefois écrit La jument de Michao était irrité par le propriétaire de cette jument qui embêtait tout le monde dans le hameau et qui ne savait pas se tenir. Eh bien, ce compositeur a réglé le problème en écrivant une chanson. De la même façon aujourd'hui, tout près du prochain millénaire, on doit être capable de parler des problèmes de société. La tradition bretonne ne faisait rien d'autre. Combien de procès ont été traités dans les gwerzoù ! C'est aussi pour ça qu'on chante aujourd'hui l'affaire Seznec : on n'est pas simplement là pour chanter "Digue digue dondaine" ! On doit être capable de chanter les événements heureux de la Bretagne et quelquefois d'épingler ceux qui sont malheureux ou scandaleux. On se bat aussi pour une véritable identité bretonne, pour une Bretagne qui sait reconnaître ses points forts et ses points faibles.

Vous vous êtes aventuré dans d'autres disciplines, comme la bande dessinée avec Bilal. Avez-vous d'autres projets dans ce sens ?
L'expérience avec le "Vaisseau de pierre" de Bilal était très positive, on en avait tellement envie que je me demande si Tri Yann existerait encore si on ne l'avait pas fait. On devait en accoucher, mais on a finalement été peu soutenu, sauf par les grands festivals bretons. C'était une première expérience et un échec financier, alors on est un peu resté sur notre faim. On aimerait faire dans deux ans un spectacle "déambulatoire", emmener le public près d'une chapelle ou d'une fontaine pour des moments musicaux ou de contes, plus ou moins grandioses ou intimistes.

Vous vous présentez avant tout comme un groupe de scène. Pouvez-vous expliquer ce que ça veut dire pour vous ?
Tri Yann croît beaucoup à la convivialité. Les disques, ce n'est jamais que de la musique en boîte, c'est de la conserve. La scène, c'est le spectacle, l'authenticité, la rencontre. On essaie de recréer l'ambiance de la veillée, quelque chose de fondamental dans la culture bretonne. Ce n'est pas parce que cette ambiance a plus ou moins été abîmée ou tuée par la télé qu'il faut baisser les bras.

Vous avez prouvé qu'on pouvait défendre le passé de manière très actuelle. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent aujourd'hui défendre des traditions ?
Il ne faut surtout pas qu'il fasse du Tri Yann ! A partir du moment où on fait de la copie, ce n'est pas intéressant. Il faut qu'ils écrivent eux-mêmes leurs textes, leurs musiques, qu'ils inventent leur propre forme musicale. Mon conseil, c'est de ne pas écouter les conseils et de ne pas faire comme les autres. Et puis surtout, qu'ils défendent la musique la plus proche d'eux.