Moyens d'appeler la mort sur quelqu'un


Le petit sac et son contenu

Quand on veut appeler la mort sur quelqu'un que l'on hait, il suffit de s'adresser à une personne expérimentée. Il y en a au moins une dans chaque paroisse. Elle vous remet un petit sac contenant une mixture, où il entre:

  1. Quelques grains de sel;
  2. Un peu de terre prise au cimetière;
  3. De la cire vierge;
  4. Une araignée qu'on a soi-même attrapée en un coin de sa maison;
  5. De la rognure d'ongles (pour se la procurer, on ronge ses propres ongles avec les dents).
On doit porter ce petit sac, suspendu au cou, pendant neuf jours consécutifs. Ce temps écoulé, on le place dans un endroit où l'on présume que passera l'individu dont on veut la mort. Il emporte qu'il soit bien e évidence, qu'il attire l'attention, qu'il tente la curiosité. On le dispose, par exemple, au milieu d'un sentier ou sur l'aire d'une maison. Votre ennemi le ramasse, croyant avoir trouvé une bourse pleine; il le palpe, l'ouvre. C'est assez. Il mourra dans les douze mois.

(Communiqué par François Le Roux. - Rosporden)

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Le jeteur de sort peut aussi vous donner une pièce de deux liards percée; il suffit de la glisser, étant à jeun, le dimanche, à la messe, dans la poche de la personne que l'on veut faire mourir.


L'écuelle sous le lit

Il y a vingt ou vingt-cinq ans, la servante d'une jeune dame de Morlaix, que je ne vous nommerai pas, parce qu'elle est encore en vie, fut tout étonnée, un matin, en faisant la chambre de sa maîtresse, de trouver sous le lit une écuelle qui paraissait remplie de sable. Elle pensa que c'était la dame qui l'avait mise là tout exprès et lui demanda s'il fallait l'y laisser. Mais la maîtresse ne montra pas moins d'étonnement que la servante.

- Une écuelle sous mon lit, dites-vous?... Qu'est-ce qu'elle peut bien y faire, grand Dieu!
- Ma foi, venez et vous verrez vous-même.

Elles vidèrent l'écuelle sur le parquet et constatèrent qu'elle ne contenait pas que du sable, mais encore des oeufs, des épingles, et enfin de menus fragments d'os. Voilà donc la dame fort intrigue. Qui avait pu placer là ces objets, et dans quel dessein?

- Tâchez de vous informer discrètement dans notre voisinage, recommanda-t-elle à la servante; il faut que nous tirions ceci au clair, il y a quelque chose là-dessous.

La servante se mit aussitôt à courir le quartier. A force d'aller, de venir et de questionner les commères, elle finit par apprendre ce que voici : son maître, avant de se marier, avait eu des relations avec une nommée Catherine Jagoury, de la rue Bourret, laquelle était employée à la manufacture des tabacs; la rumeur publique disait même que cette Catherine Jagoury avait eu de lui un enfant ; ce qui était sûr, c'est qu'elle ne lui pardonnait pas de l'avoir abandonnée et, à diverses reprises, on l'avait entendue déclarer que, par un moyen ou par un autre, elle se vengerait. Le "coup de l'écuelle sous le lit" cachait évidemment un sortilège quelconque et qui ne pouvait avoir été imaginé que par la jeune fille délaissée.

La servante ne fit ni une ni deux; sans attendre d'avoir pris conseil de sa maîtresse, elle alla conter la chose à la police. Le commissaire manda immédiatement Catherine Jagoury à son bureau.

- Vous savez de quoi l'on vous accuse, n'est-ce-pas? Allons, dites la vérité.
La jeune cigarière devint toute blanche.

- Elle est donc morte! s'écria-t-elle... Et bien! oui, c'est moi... Il m'avait donné sa parole... Elle n'avait qu'à ne pas l'épouser!
- Ainsi, c'est pour la faire mourir que vous avez mis l'écuelle?...
- Oh ! ce n'est pas moi qui l'ai mise, mais je ne dirai pas qui... Moi, vous pensez, on m'aurait jetée à la porte.
- Et qui y avait-il dans cette écuelle ?
- Il y avait ce qu'il fallait : du sable de cimetière, trois coques d'oeufs frais pondus par trois poules différentes, deux épingles en croix et des morceaux de reliques. Voilà. J'ai prononcé la formule sur le tout...

- Quelle formule ?
- Allez la demander à celle qui me l'a apprise... Ca n'est pas mon secret.
- Bref, vous avez voulu commettre un crime ?
- Un crime, c'est tuer quelqu'un. Je n'ai pas tué : je n'ai fait qu'invoquer la mort.
- Oui... Eh bien! ne recommencez pas. Celle pour qui vous l'avez invoquée se porte à merveille, heureusement pour vous. Allez!

La jeune fille eût préféré être jetée en prison plutôt que de s'entendre dire que le maléfice n'avait pas produit son effet (na oa ket deut da vad).

Elle en fit une maladie. La dame à qui elle en avait fut, de son côté, fort ennuyée du zèle de sa servante, car l'histoire courut la ville, et les journaux la mirent par écrit.

(Communiqué par Joseph Le Cost. - Morlaix, 1896.)

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Il est un moyen encore plus infaillible de se débarrasser d'un ennemi. C'est d'aller vouer (gwestla) celui que l'on hait à saint Yves de la Vérité. On fait saint Yves juge de la querelle.

Mais il faut être bien sûr d'avoir de son côté le bon droit. Si c'est vous qui avez le tort, c'est vous qui serez frappé.

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La personne qui a été vouée justement à saint Yves de la Vérité sèche sur pied pendant neuf mois. Elle ne rend toutefois le dernier soupir que le jour où celui qui l'a vouée ou fait vouer franchit le seuil de sa maison. Lasse d'être si longtemps à mourir, il arrive souvent qu'elle mande chez elle celui qu'elle soupçonne d'être son envoûteur, afin d'être plus tôt délivrée.

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Pour vouer quelqu'un à saint Yves de la Vérité, il faut :

  1. Glisser un liard dans le sabot de la personne dont on souhaite la mort ;
  2. Faire à jeun trois pèlerinages consécutifs à la maison du saint; le lundi est le jour consacré ;
  3. Empoigner le saint par l'épaule et le secouer rudement en disant; "tu es le petit saint de la Vérité (Zantik ar Wirioné). Je te voue un tel. Si le droit est pour lui, condamne-moi. Mais si droit est pour moi, fais qu'il meure dans le délai rigoureusement prescrit";
  4. Déposer comme offrande aux pieds du saint une pièce de dix-huit deniers marquée d'une croix ;
  5. Réciter les prières habituelles, en commençant par la fin ;
  6. Faire trois fois le tour de l'oratoire, sans tourner la tête.
Autrefois il y avait dans l'oratoire de Saint-Yves-de-la-Vérité, derrière la statue du saint, une allène, pareille à celles dont se servent les cordonniers.
Pour être plus sûr de se faire entendre du saint, on plantait cette allène par trois fois dans le bois de sa statue, en disant à chaque fois : - Pa'z out ar jug braz, clew ac'hanon! (Puisque tu es le grand juge, entends-moi).

(Lise Bellec. - Port-Blanc)


L'histoire du maréchal-ferrant

Il était une fois un maréchal-ferrant qui s'appelait Fanchi et qui avait sa forge au bourg d Caounnek. Il cultivait de plus quelques arpents de terre attenant à sa forge, et il trouvait moyen de nourrir deux ou trois vaches. Il aurait dû être à l'aise dans ses affaires, car il travaillait avec courage. Malheureusement, sa femme était un puits de dépenses. L'argent que Fanchi lui remettait, il ne le revoyait plus, sans qu'il pût savoir à quoi il avait été employé. Il ne se doutait pas, l'excellent homme, que Marie Bénec'h, sa triste moitié, tandis qu'il peinait à l'enclume, passait son temps à commérer d'auberge en auberge, et à payer du micamo, c'est-à-dire du café "salé avec de l'eau de vie", à toutes les Jeannettes du voisinage.

Fanchi avait un apprenti, nommé Louiz, qui était dans sa maison depuis nombre d'années et en qui il avait grande confiance.

Un soir il dit à l'apprenti:
- Sois de bonne heure sur pied demain matin. Marie Bénec'h prétend que sa bourse est vide. Nous irons à La Roche-Derrien vendre la vache rousse. C'est la "foire du chaume" (foar ar zoul), nous en, trouverons peut-être un bon prix.

La vache rousse fut, en effet, bien vendue. Trois cents écus sonnants, sans compter les arrhes. Comme Louiz et Fanchi s'en revenaient vers Caouennek, l'apprenti dit au maître:

- A votre place, je ne donnerais pas cet argent à Marie Bénec'h, en une seule fois. Je le ramasserais dans un tiroir et je ne m'en séparerais qu'au fur et à mesure des besoins du ménage.
- C'est une heureuse idée, répondit Fanchi, qui n'avait jamais pensé à cela.

Rentré chez lui, il mit les trois cents écus, rangés en plusieurs piles, dans une grosse armoire de chêne dont il fourra la clef sous son traversin. Mais son manége n'avait pas échappé à l'oeil de Marie Bénec'h. Dès qu'elle entendit ronfler son mari que cette journée de foire avait harassé, elle se leva discrètement, déroba la clef, courut à l'armoire, et fit rafle de l'argent.

Qui fut bien attrapé le lendemain ? Ce fut Fanchi, le forgeron.
Ses soupçons se portèrent aveuglément sur son apprenti.
- Louiz, s'écria-t-il, pâle de colère, j'ai suivi ton conseil. Voilà ce qui m'en revient. Rends-moi mes trois cents écus.
- Je ne les ai pas pris.
- Tu nies ? Soit. Tu vas de ce pas m'accompagner à Saint-Yves-de-la-Vérité !
- Je suis prêt à vous accompagner partout où il vous plaira.

Ils se mirent en route. Quand ils furent arrivés à la porte de l'oratoire, le maréchal prononça les paroles consacrées. Le saint inclina la tête par trois fois, pour montrer qu'il avait compris et aussi pour déclarer qu'il allait faire justice. Fanchi regagna Caouennek, soulagé. Quand à Louiz, qui avait été allègre au départ, il ne le fut pas moins au retour.

A l'entrée du bourg, Fanchi lui dit :
- Tu penses bien que d'ici longtemps nous ne travaillerons plus ensemble.
- A votre gré, maître, répondit Louiz. J'estime cependant qu'avant peu vous aurez reconnu que ce n'est pas moi le coupable.
Ils se séparèrent...

Marie Bénec'h guettait son mari du seuil de la forge.
- Où as-tu-été ? lui demanda-t-elle.
- A Saint-Yves-de-la-Vérité.
- Quoi faire?
- Vouer à la mort, dans un délai de douze mois, la personne qui m'a volé mes trois cents écus.

- Ah! malheureux ! malheureux ! s'écria Marie Bénec'h, qui déjà avait au cou la couleur de la mort, si au moins tu m'avais prévenue! tes trois cents écus n'ont pas été volés. C'est moi qui les ai pris, cette nuit, pendant que tu dormais. Retournons vite défaire ce que tu as fait.

- Il est trop tard, femme. Par trois fois le saint a incliné la tête.
A partir de ce jour, Marie Bénec'h ne fit en effet que languir, et, les douze mois écoulés, elle mourut.

(Conté par Marie-Hyacinthe Toulouzan. - Port-Blanc.)


Le bateau-sorcier

A l'île de Sein, comme la propriété est infiniment morcelée, les conflits d'intérêts sont fréquents et engendrent parfois des rancunes inexpiables. Les femmes surtout sont acharnées à la vengeance. Trop faibles pour s'attaquer ouvertement à un ennemi, lorsque celui-ci est un homme, elles s'arrangent pour le vouer à la mer, c'est-à-dire à la mort. Voici comment elles procèdent.

Il y a dans l'île un certain nombre de veuves réputées pour avoir reçu en naissant le don de vouer. On ne les nomme pas tout haut, mais on les connaît. Elles ont, dit-on, commerce avec les mauvais Esprit des eaux qui les admettent, la nuit, aux "sabbats de la mer". Elles se servent, pour se rendre à ces sabbats, d'une embarcation de forme toute spéciale. Vous avez vu no îliennes ramasser du goémon dans le galet. Elles l'empilent dans des mannes d'osier, à fond rentrant comme un cul de bouteille, et, pour fixer la charge, y plantent une courte baguette appelée bâ bédina (bâton à goémonner).

Eh bien ! c'est dans une manne d'osier de ce genre que les Vieilles du Sabbat (Groac'hed ar Sabbad) vont faire leurs tournées de nuit. Bag-sorcérés (bateau-sorcier) est le nom par lequel on désigne cette sorte d'embarcation. Les vieilles n'y peuvent trouver place qu'à la condition de s'accroupir sur leurs talons, et c'est en cet équipage qu'elles gagnent le large, munies seulement du bâ bédina en guise d'aviron et de gouvernail. Il n'est pas rare que des pêcheurs les rencontrent, mais ils se donnent garde de s'en vanter, sachant bien que la plus légère indiscrétion leur serait fatale.

Et donc, lorsqu'on a quelqu'un dont on souhaite la mort, on s'abouche avec une de ces veuves. En général, ce n'est point à son logis qu'on se rend. On s'arrange pour se trouver sur son passage et on lui dit, de l'air le plus naturel:

- Moereb (tante), j'aurais besoin de vous. Si elle est disposée à écouter votre requête, elle vous fixe un endroit désert où l'attendre, après le coucher du soleil. C'est le plus souvent derrière l'énorme masse de rocher dite An Iliz (l'église), à mi-chemin du bourg et du phare.

Là, vous lui livrez le nom de l'homme que vous désirez voir périr. Elle vous demande :
- Combien de temps lui accordes-tu pour se repentir du tort qu'il t'a fait et le réparer?
On donne un terme quelconque : une semaine, quinze jours, un mois. Plus le délai qu'on indique est rapproché, plus la "voueuse" se fait payer cher.

L'affaire une fois conclue, vous pouvez retourner chez vous tranquille. Votre ennemi périra au jour marqué. Pour chaque individu qu'elle voue, il faut que la vieille accomplisse trois voyages, assiste à trois sabbats et remette, chaque fois, aux démons du vent et de la mer un objet ayant appartenu à l'homme qu'il s'agit de faire disparaître.

On cite nombre d'îliens qui ont disparu par l'effet de ces pratiques. J'ai, par exemple, entendu raconter ceci : Deux frères s'étaient mortellement brouillés, à propos de succession et de partage. Un matin qu'ils prenaient la mer - et naturellement pas sur le même bateau - leurs femmes vinrent, selon l'usage de l'île, surveiller de la pointe du môle leur embarquement, de peur qu'ils ne restassent à se soûler dans quelque auberge. Or, comme elles étaient là, se défiant du regard, une d'elles dit à l'autre :

- Va donc plutôt voir chez toi si la couturière a fini de tailler ta coiffe de veuve.
Et le mari, en effet, ne rentra jamais. Il avait dû sombrer à l'endroit même où il avait été voué.

(Conté par Cheffa, matrone à l'île de Sein, 1898.)